Haine virtuelle : conséquence réelle

Dans son plus long épisode, d’une durée de 89 minutes, la série britannique Black Mirror offre une critique virulente du hate sur les réseaux sociaux et la part de responsabilité de chacun dans ce geste diffamatoire. Haine virtuelle (Hated in the nation, en langue originale) aborde la gravité du clic, de ces actes d’aversions virtuels, que tous clament n’être que leur droit à la liberté d’expression. Mais l’est-ce réellement ?

Par Marc-Antoine Franco Rey

Plus de deux ans après sa sortie, l’épisode 6 de la troisième saison de la série anglaise continue de faire écho aux événements faisant la manchette, notamment le récent scandale entourant l’affaire Jordyn Woods et Tristan Thompson, la jeune femme avait été la cible des trolls sur Instagram, Twitter, etc., recevant de multiples menaces de mort. Cela est considéré comme un crime, mais les plateformes virtuelles étant incessamment envahies par ce genre de message, une sorte d’immunité se crée découlant de la flopée de commentaires médisants. Car, après tout, il est vrai que derrière l’écran, le venin s’insinue plus aisément et qu’on est à l’abri de tous les dangers… 

Vendetta publique

Haine Virtuelle explore le thème-clef de Black Mirror, soit la nature humaine reflétée à travers la technologie. Dans cet épisode, qu’on pourrait qualifier de long-métrage, Charlie Brooker, qui coécrit la série d’anthologie, s’intéresse à un phénomène actuel à travers une histoire de meurtre, qui prend rapidement des proportions démesurées. On y suit la détective Karin Parke (Kelly Macdonald) qui, aidée par son apprentie technophile (Fay Marsay), enquête sur la mort violente d’une journaliste qui était la cible des médias sociaux. Dans ce futur proche, des abeilles-robots sont utilisées afin de polliniser les plantes, les vrais hyménoptères étant désormais disparus. Lorsqu’un deuxième crime survient dans des circonstances similaires au précédent, on réalise que ce qui nous était présenté comme n’étant pas lié en apparence l’est : les insectes androïdes, contrôlés par un mégalomane ayant piraté le système, s’incrustent dans le cerveau de celui qui est dans la mire du peuple pour l’éliminer. Une diabolique mécanique se met donc en route : quiconque affiche le « #DeathTo » (qui signifie « mort à ») sur les réseaux sociaux, suivi du nom de l’individu visé ainsi que sa photographie, est susceptible de voir sa cible bel et bien assassinée si elle se trouve être celle qui reçoit le plus de mentions de ce genre. La nation tout entière a donc le pouvoir d’exécuter démocratiquement l’être le plus détesté grâce à une simple publication.  

Pour le meilleur et pour le pire

Le caractère troublant d’Haine Virtuelle réside dans le fait qu’il serait plausible qu’une telle chose advienne. Si ce même pouvoir était offert aux internautes, les mises à mort auraient lieu perpétuellement si on se fie à la pléthore de commentaires fielleux qui circulent en ligne. Ce qui choque est l’engouement que suscite le « #DeathTo » et l’influence qu’il a sur les gens dans l’épisode : en toute connaissance de cause, la collectivité contribue au meurtre d’un être humain, en se dégageant néanmoins de toute responsabilité criminelle. Autrement dit, ils deviennent les instigateurs de ces assassinats, sans toutefois en être les coupables désignés. On en vient donc à se demander qui est le véritable monstre dans l’affaire : celui qui est visé ou ceux qui visent ce dernier ? Les abeilles-robots deviennent notamment un véritable fléau pour l’humanité, rappelant la barbarie de la Révolution française, avec ses décapitations publiques. On reconnaît la force avec laquelle Black Mirror met encore une fois en scène les meilleures avancées technologiques de l’homme, qui en fait la pire des utilisations. Ainsi, en ayant cru avancer, on finit par régresser.  

Avec une finale au revirement plus qu’inattendu et une tension évoquant celle des meilleurs suspenses, ainsi qu’une distribution convaincante et des effets spéciaux de qualité, Haine Virtuelle possède une grande valeur dans le panorama de contenus télévisuel et cinématographique qu’offre Netflix. À l’image de la série, l’épisode combine à la fois divertissement et réflexion plus profonde sur notre rapport à la technologie, un sujet qui n’est pas près de devenir désuet.