CHSLD : Les choses doivent changer…

Anthony Bertrand

Il y a quelques semaines, en prévision de ce texte, je me suis entretenu avec une employée de CHSLD, que nous allons nommer madame M pour des raisons de confidentialité. Cette première entrevue s’était finie sur le sentiment optimiste que tous les CHSLD n’étaient pas aussi en mauvais états ou aussi mal gérés que les médias le laissaient entendre. Cependant, il m’est venu depuis à l’oreille que beaucoup de choses avaient changé dans la situation de M et ce, de façon dramatique. En effet, la préposée a malheureusement contracté le virus et plusieurs aspects de son travail seraient en cause. Malgré sa situation, elle a eu la générosité de m’accorder une deuxième entrevue pour élaborer là-dessus. Mon entretien s’est déroulé le jeudi 28 mai par appel téléphonique.

Un manque de jugement total mène à la catastrophe

Quand j’ai demandé à M ce qui a causé ce revirement de situation, sa réponse m’a bouleversé et choqué. « Il s’est passé que nous avons eu une éclosion sur un autre étage dans le CHSLD qui a été causé par une employée à l’étage supérieur du mien. Elle attendait son résultat de test pour le Covid-19. Si nous ne ressentons aucun symptôme, l’employeur nous oblige à travailler vu que nous sommes asymptomatiques, donc la préposée en question a eu son résultat positif pendant son quart. Quand elle a rapporté cela à sa gestionnaire, celle-ci lui a demandé de finir son quart de travail et de commencer sa quarantaine après. Donc elle a continué à travailler quand même et quelques jours plus tard, on s’est ramassé avec 16 résidents infectés sur 35. 14 ont été transférés dans le même quart de travail où je travaillais, mais les employés n’ont pas suivi, donc nous étions 4 employés pour 15 résidents que nous avions déjà, 14 qui venaient d’arriver et 6 autres qui venaient d’un autre établissement. » Ce fut le début de la catastrophe. « À partir de cette journée-là, tout a empiré. Les chambres simples sont devenues doubles, nous travaillions avec des lits qui ne fonctionnaient pas, les déjeuners étaient servis à 10 h alors que c’est supposé être à 7 h et le dîner, à 11 h. Parfois des résidents sont oubliés pour le dîner et nous sommes chanceux si nous pouvons faire une tournée d’eau… » Pour M, les aînés méritent des résidences sécuritaires et en bon état et non un environnement de bataille, et les employés méritent au minimum de sentir qu’ils ont un support dans cette situation tragique.

Vie personnelle difficile et seulement qu’un numéro

J’ai demandé à M comment sa vie personnelle allait malgré sa situation. « C’est très difficile. Mon frère m’évite, mes collègues ne veulent pas m’approcher. C’est un autre monde. On est vu comme un microbe marchant. » Cela fait en sorte que son petit garçon est automatiquement considéré positif, donc elle doit le garder en tout temps avec elle tout en ayant un œil attentif sur ses symptômes. Elle dénonce un manque d’humanité dans la gestion des employés. « Moi, je suis vue comme un numéro. Je ne suis pas M, mais mon numéro d’employée », me disait-elle tout de même en riant. Les choses ne s’arrêtent pas là. Alors que son premier test était équivoque (ce qui veut dire un test ni positif ni négatif), M a été mis en retrait préventif, mais elle n’était pas au bout de ses peines. « Ma gestionnaire m’a obligée à rentrer quand même. Mon fils est considéré comme positif, je ne l’enverrai pas à la garderie. Je lui ai demandé si elle me demandait bien de rentrer et sa réponse était, oui, étant donné que tu n’as pas de symptôme, tu es obligé de rentrer… Alors j’ai rappelé la fille du bureau de santé qui m’a mis en arrêt, et elle m’a dit que ma gestionnaire n’avait aucun pouvoir sur eux. Donc imaginez si j’avais été une personne introvertie, que j’étais rentrée travailler et que mon test positif était finalement sorti… »

N’est-ce pas pathétique et immoral ? Comment en sommes-nous venus à un tel point ? À quand les récompenses pour ces guerriers ? Car à ce que j’ai pu comprendre, les primes sont des promesses quasi impossibles à atteindre. En effet, il ne faut manquer aucun jour si l’on veut avoir droit à la prime. Les choses doivent absolument changer. Comment donner de l’espoir à ses employés si ceux-ci ne sont même pas récompensés à leur juste valeur ? La situation commence à se stabiliser, mais il serait important de faire mention des guerriers sur les champs de bataille qui risquent de garder des séquelles à vie de cette pandémie alors que notre quotidien reprendra de plus belle… Les choses doivent changer dans la gestion de ces êtres humains sur les champs de bataille.